Nous avons tous en nous un monstre que personne ne soupçonne. Prenons Jérôme. Qui penserait que Jérôme a déjà tranché la tête d’une tortue vivante ? Qu’il a pesé fort sur la carapace verte pour la forcer à étirer son cou de serpent. Qu’il a procédé à un sciage patient dans les chairs élastiques. Avec un vieux canif émoussé. Mon Jérôme aux yeux si bleus, au regard si candide. « Elle dépassait. » C’est tout ce qu’il a à dire. Moi, je suis trop mou pour faire quoi que ce soit qui s’approche d’un geste comme ça. Comme chacun, mon corps est fait pour la conquête de l’Everest ou la chasse au canard, mais la vie a fait que je suis devenu autre chose. Quelque chose comme un chien attaché.
Entre réalité et présage, Le sort de Fille nous plonge dans les zones sombres de la conscience humaine. Les personnages sont prisonniers d’eux-mêmes et portent le poids de blessures jamais cicatrisées. D’une écriture lucide, chacune de ces nouvelles laisse percevoir que c’est à coups de deuils qu’on se construit, et ce, même dans l’univers parfait de la culture.