Le recueil de nouvelles La Héronnière, de Lise Tremblay, est à l’image de la fresque romaine dont un détail orne la page couverture. Chacune des cinq histoires de ce recueil constitue en effet une scène complète et capable d’indépendance, mais ne forme, par ailleurs, qu’une section d’un grand tableau autrement significatif. Si, séparément, ces nouvelles laissent un arrière-goût amer (pas désagréable du tout, étrangement), considérées dans leur ensemble, elles composent une tragédie émouvante, semblable à celles du théâtre classique. Dans le cas de La Héronnière, pourtant, la fatalité de la mort ne frappe pas un personnage, mais plutôt un lieu, un village québécois isolé, qui ne porte pas de nom.
Ainsi, à travers trois voix narratives différentes, une même réalité s’impose, c’est-à-dire l’inéluctable déchéance, la lente agonie de ce village, dont il ne restera bientôt que des vieilles photos jaunies par le temps : « Il y avait des centaines de photos étalées un peu partout. [L’imprimeur] a dit : — C’est comme un cimetière. » Lise Tremblay nous livre ce drame particulier en usant d’un style concis et plaisant, entrecoupant la narration de brefs dialogues dans lesquels les personnages s’expriment dans une langue québécoise qui sonne juste. Sans tomber dans une description ennuyeuse et monotone de la réalité rurale, elle détruit plutôt l’idée que l’on peut se faire de moeurs campagnardes simples et honorables en nous dévoilant un monde sournois, voire violent. Par l’incessante confrontation entre la mentalité urbaine et les valeurs villageoises, l’auteure touche aux limites de l’incompréhension entre deux univers éloignés et ajoute, au plaisir de lire ses nouvelles, le bonheur d’une réflexion actuelle.
Source : Le Devoir 17 et 18 avril 2004