Ouvrier anonyme, Jean-Claude Morel a consacré sa vie aux grands chantiers de Montréal. Il a creusé le métro et le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, fait surgir des îles et s’entrelacer des autoroutes. Mais si les tours qu’il a construites au centre-ville en rapprochent certains du soleil, elles allongent leurs ombres jusqu’en bas de la track : le Faubourg à m’lasse est détruit, la rue Notre-Dame rasée, et la famille Morel expropriée et déplacée tandis que des drames intimes finissent par la disloquer. Le vieux Jean-Claude, né durant la Grande Crise d’une succession de fils déchus et de pères cassés, jongle avec ses souvenirs dont il ne sait que faire jusqu’à l’arrivée en scène de sa petite-fille Catherine qui, curieuse de ses racines, vient libérer la parole et retricoter les liens décousus.
Fresque grouillante de vie, tourbillon mémoriel aux fondus enchaînés bouleversants de précision, Morel raconte de l’intérieur la métamorphose de Montréal au vingtième siècle, où le génie n’est ni civil ni industriel, mais profondément humain : c’est le cœur même d’une communauté têtue, vive et désordonnée qui trouvera toujours le moyen de fleurir à travers la rouille et le béton.
Rue Poupart, Centre-Sud, décembre 1976. Un nouveau-né échappe aux bras inexpérimentés de sa mère et déboule les marches du bloc-appartement. Au moment de se fracasser le crâne, le temps s’arrête et se déplie tout à la fois : Francis entrevoit toute sa vie et entreprend de nous la raconter.
Guidé par Frigo, le sans-abri bien connu du boutte, l’auteur arpente les recoins et les souterrains de sa mémoire et d’un quartier infecté par la gangrène de feu le Faubourg à m’lasse.
Fresque tour à tour hilarante et troublante, Mélasse de fantaisie est constellé de personnages (réels) plus grands que nature, dont Ti-Crisse la blonde à Josette, Lil’ Mike le saxophoniste déchu et Raymonde, championne indisputée de berce-o-thon.
Or, si la faune exotique du quartier fascine, elle menace également. Laissé à lui-même, Francis tentera d’embrasser et d’esquiver la vie comme il peut.
Énéwé, comme il dit.
Quelque part entre La vie devant soi, la psycho-magie d’Alejandro Jodorowski et le cinéma opulent d’André Forcier, Mélasse de fantaisie est un récit gargantuesque truffé de morceaux de bravoure inoubliables.
Danaé Berrubé-Portanguen dite Poussin possède le rare don de savoir nager. Orpheline, tour à tour sauveuse et naufrageuse, elle vit au milieu de l’Atlantique, sur l’île d’Ys, berceau d’un peuple obsédé par l’honneur et le courage. Une île où même les terriens se vantent d’être marins, où seuls les plus braves ont le privilège de vivre dans la cité fortifiée à l’abri des grandes marées d’équinoxe. Suivant le destin des riverains qui doivent se partager plages et marges, Danaé Poussin se soumettra aux cycles qui animent les mouvements de la mer comme à ceux qui régissent le coeur des hommes.
Les marins ne savent pas nager s’adresse à celles et ceux qui, un jour, se sont demandé si c’était la montée des eaux qui les faisait pleurer ou leurs larmes qui faisaient monter les eaux. Dominique Scali signe un roman d’aventures maritimes époustouflant campé dans un XVIIIe siècle alternatif salé par l’embrun et rempli de la cruauté du vent.
Des pluies diluviennes s’abattent sur le Québec. Arrimée à ses deux jeunes enfants, Iona est déchirée entre un désir maternel de fusion et le besoin de s’évader, entre le monde parfaitement cartographié de Nils, son amoureux, et le souvenir des débordements et des débauches de sa jeunesse.
Bientôt, la réalité la rattrape. Montréal est sur le point d’être inondée et Nils a tout prévu : il emmènera sa famille à l’abri dans le nord, au somptueux manoir de son clan. Avec quelques proches, ils s’installent loin de la civilisation, isolés dans une forêt noyée, en pleine mutation. Au fur et à mesure que les réserves de nourriture diminuent et que la province s’enfonce dans le chaos, la tension monte dans la demeure au luxe désormais obsolète. Ceux qui entendent lutter férocement pour protéger leurs ressources affrontent ceux qui persistent à croire qu’il faut s’accrocher dans un élan solidaire au mince fil du vivant.
Elsa Pépin met en lumière les extrêmes qui gouvernent nos existences et la porosité des frontières que nous croyons pourtant étanches entre l’individu et le monde, entre la soif et la noyade, entre la destruction et la survie.
On peut venir au monde à tout âge. Pour Markus, cela se passe au début de la vingtaine, quand il s’enfuit de la communauté fermée qui l’a vu naître et qui l’étouffe. Le voici donc plongé dans le « Frais Monde », dans la jungle urbaine, au risque de se noyer.
Ce n’est pas un hasard si Markus se retrouve à aider les plus mal pris de la ville. Car Markus est différent. Il est dévoré par une flamme qui le pousse à éclairer ceux qui semblent souffrir d’obscurité – et ils sont nombreux. Comment trouver sa place sans perdre son âme ? Où se terre la Mignonne ultime qui lui fait si cruellement défaut ? Et qui est cette ombre qui veille sur lui depuis le début, ce vieil homme mystérieux que Markus surnomme « Maître K », et qui se dérobe chaque fois qu’il l’approche ?
Ce sont les mots et les yeux candides de Markus qui nous dévoilent les désastres ambulants partout, et l’aveuglement du monde libre qui court, qui court pour se fuir lui-même.