Voici le roman de Marquise Simon, née Cardinal. Sa naissance entre deux frères ennemis, envers qui elle se sent également liée et étrangère, sa jeunesse dans le Montréal des années 1960, son expérience de l’amitié et de l’amour, ses rencontres et ses réflexions ont fait d’elle une femme à l’identité partagée, un être de la lucidité et de l’interrogation, de la distance et de l’empathie.
Voici, également, le roman du monde où nous vivons : situé au Québec, à Montréal, dans les années qui vont de ce que Marquise appelle le DRIPQ (Deuxième référendum sur l’indépendance politique du Québec) à aujourd’hui. Voici le tableau le plus précis, le plus coloré et le plus juste de l’extraordinaire métamorphose par laquelle une société jadis si tranquille et si homogène s’est transformée en cette vaste tour de Babel où les langues, les cultures, les moeurs, les valeurs se mêlent, se heurtent, se défont et se refont pour composer cette humanité nouvelle, pleine de surprises, de conflits et de synthèses inattendues.
Voici, en somme, un roman d’amour qui est en même temps un roman familial, un roman d’aventures qui est en même temps un roman social, un roman de l’existence qui est en même temps un roman de l’époque. Bref, voici un roman d’une richesse, d’une diversité et d’une beauté telles qu’il ne s’en écrit que quelques-uns au cours d’une décennie.
Amoureux fou de sa sœur, le narrateur la cherche partout après s’être enfui de l’hôpital psychiatrique où l’on essayait de lui faire retrouver la mémoire et la parole, perdues dans des circonstances tragiques. Des images d’elle vont et viennent dans son cerveau. Elles vous hanteront longtemps : Georgie qui tient sa main, Georgie qui grimpe aux arbres, Georgie « transformée en musique », qui danse autour du feu, Georgie dans sa robe rouge, Georgie blottie contre une vieille gitane, Georgie sur un pont… Mais où est-elle donc ?
Marc S. Morris est un chasseur. À demi Mohawk, dans son sang coule une amertume brûlante nourrie de désillusion et, s’il tue les bêtes, c’est pour éviter de tuer les hommes. Pourtant, Marc S. Morris a la Foi, aimerait avoir la Foi. Devenir pape, par exemple. Ou aimer une femme. Dédier sa vie.
C’est le lendemain d’un suicide raté que le narrateur raconte, comme dans un ultime sursis, les dix dernières années au cours desquelles il a silloné en pick-up le continent à la recherche de cette grandeur qui l’aurait transporté. Vu du ciel, son parcours dessine des kilomètres de mots rageurs qu’il trace minutieusement sur les veines mêmes de cette Amérique qui le déçoit.
Ce récit a la texture de la terre dans laquelle on a planté un couteau, la lumière des tabeaux du Titien, une narration ponctuée de références à Nirvana comme à saint Augustin, et pour trame de fond des événements majeurs, joués par des acteurs plus ou moins anonymes, témoignages décapants de ce tournant du millénaire.
A la suite de cette annonce tragique, le narrateur décide de revenir dans son pays natal. Il en avait été exilé, comme son père des années avant lui, par le dictateur du moment. Et le voilà qui revient sur les traces de son passé, de ses origines, accompagné d’un neveu qui porte le même nom que lui. Un périple doux et grave, rêveur et plein de charme, qui lui fera voir la misère, la faim, la violence mais aussi les artistes, les jeunes filles, l’espoir, peut-être. Le grand roman du retour d’exil.
Scandalisés par l’idiot du village, le maire de Chester et son adjoint conspirent sa mort. Un matin de printemps, les deux hommes l’enlèvent et vont le jeter dans un puits. Or, au bout de trois jours, l’idiot se remet à crier du fond de sa fosse. » Un village comme ici c’est pas une place pour les intrigues « , mettent en garde les habitants de Chester. Dès les premières pages du Discours sur la tombe de l’idiot, le lecteur connaît tous les éléments du crime qui vient troubler ce village sans histoire. L’intrigue policière ainsi jugulée, le roman repose principalement sur le génie de l’accusation et du leurre, c’est-à-dire sur les efforts déployés par le maire afin de désigner un coupable et ce, tout en s’assurant le silence de son complice qui menace de s’effondrer sous le poids du remords.
Parmi les divers lièvres lancés afin de faire diversion se trouve le coupable idéal – Paul Barabé, un nouvel ouvrier venu se refaire à la campagne dont l’arrivée à la ferme des Fouquet coïncide avec la disparition de l’idiot et une autre sinistre découverte. Si le roman possède une » essence policière » incontestable, il s’agit d’abord et avant tout d’un roman de la culpabilité. Tout en s’attachant au sort de Paul Barabé, le récit présente l’histoire de Chester » saisie du dedans » : une histoire commune non pas appréhendée dans la perspective rassurante des intentions et des actes, mais une histoire se rapportant plutôt aux faits principaux qui accablent ce village sans idiot. Ses tableaux consécutifs adoptent le mode vertigineux de la rumeur : leur cohérence surgit du désordre et de la fulgurance des images ; leur logique interne place les villageois de Chester sous une lumière inquiétante. Comme si le narrateur lui-même ne pouvait se résoudre à faire du maire et de son adjoint les seuls coupables de leur crime.