Le cahier noir

Lorsqu’on a 20 ans et qu’on ouvre Le Cahier noir de Michel Tremblay, on se doit d’être un peu réticent. D’abord, parce que cet auteur est presque aussi mythique pour nous que le sont, pour Céline Poulin, la narratrice de son roman, les personnages de la pièce Les Troyennes. Puis, parce que le portrait d’une jeune serveuse d’un resto cheap de la métropole, souffrant d’un handicap physique, entourée de travestis et ayant de surcroît une mère alcoolique, qui va rencontrer un jeune réalisateur non seulement « prometteur » mais aussi homosexuel, et ce en plein coeur des si célèbres années 60, c’est beaucoup.

Mais ce livre n’est pas l’autoportrait d’une « bête blessée » de la ville grande et noire qui fraie miraculeusement avec le star system de la Révolution tranquille. Écrit par le biais du récit d’une femme de 20 ans qui tente de s’autoexpliquer par l’entremise d’un petit « cahier noir », ce roman permet enfin à ceux qui n’en ont vu que le fantôme, de goûter un peu à cette époque charnière qui précéda l’Expo 67. Le style est convaincant, intime, surprenant. La narratrice en impose ; elle est vivante, réaliste.

S’attaquant aux dédales du doute intérieur et de l’incompréhension de chacun face à son drame personnel et familial, Michel Tremblay réussit à construire un univers riche et tangible.

Le Cahier noir a l’intelligence rare de dresser des portraits vivants d’êtres en difficulté, qui n’agissent pas selon des règles établies et ne s’appuient sur aucun absolu. L’histoire se vit à la lecture, elle est imprévisible. On souhaiterait de tout coeur pouvoir lire, à la dernière page, que ce roman a vraiment été écrit en 1966 dans une petit chambre de Montréal, par une jeune femme du nom de Céline. Splendide.

Source : Le Devoir 17 et 18 avril 2004

La héronnière

Le recueil de nouvelles La Héronnière, de Lise Tremblay, est à l’image de la fresque romaine dont un détail orne la page couverture. Chacune des cinq histoires de ce recueil constitue en effet une scène complète et capable d’indépendance, mais ne forme, par ailleurs, qu’une section d’un grand tableau autrement significatif. Si, séparément, ces nouvelles laissent un arrière-goût amer (pas désagréable du tout, étrangement), considérées dans leur ensemble, elles composent une tragédie émouvante, semblable à celles du théâtre classique. Dans le cas de La Héronnière, pourtant, la fatalité de la mort ne frappe pas un personnage, mais plutôt un lieu, un village québécois isolé, qui ne porte pas de nom.

Ainsi, à travers trois voix narratives différentes, une même réalité s’impose, c’est-à-dire l’inéluctable déchéance, la lente agonie de ce village, dont il ne restera bientôt que des vieilles photos jaunies par le temps : « Il y avait des centaines de photos étalées un peu partout. [L’imprimeur] a dit : — C’est comme un cimetière. » Lise Tremblay nous livre ce drame particulier en usant d’un style concis et plaisant, entrecoupant la narration de brefs dialogues dans lesquels les personnages s’expriment dans une langue québécoise qui sonne juste. Sans tomber dans une description ennuyeuse et monotone de la réalité rurale, elle détruit plutôt l’idée que l’on peut se faire de moeurs campagnardes simples et honorables en nous dévoilant un monde sournois, voire violent. Par l’incessante confrontation entre la mentalité urbaine et les valeurs villageoises, l’auteure touche aux limites de l’incompréhension entre deux univers éloignés et ajoute, au plaisir de lire ses nouvelles, le bonheur d’une réflexion actuelle.

Source : Le Devoir 17 et 18 avril 2004

Adieu, Betty Crocker

À l’occasion du décès de sa tante Arlette, Benoit, un universitaire dans la cinquantaine, se remémore des souvenirs d’enfance. Il raconte à sa compagne l’odyssée de ses 10 ans, du temps où on faisait des tours de « machine » pour visiter la parenté le dimanche après-midi. De ces visites dominicales, il y avait, bien sûr, l’arrêt obligé chez tante Arlette – surnommée Betty Crocker – à son split-level de Beaurivage Gardens à Boucherville. Fasciné par son destin d’épouse-modèle, Benoît s’interroge sur la vie de cette femme qui n’a jamais quitté sa résidence après la mort accidentelle de son mari, chauffeur d’un autobus Voyageur. Trente ans confinée à demeure. Trente ans à être à la merci de son entourage pour lui fournir l’essentiel. Celle qui semble si parfaite, avec des enfants si parfaits, cache-t-elle une zone d’ombre ? Qu’arrive-t-il lorsqu’on gratte un peu le vernis de la perfection ? Benoit arrive à tirer des conclusions plutôt étonnantes…

Discours de réception

L’oeuvre d’Yves Gosselin, Discours de réception, est sans aucun doute le livre le plus controversé de l’édition 2004 du Prix littéraire des collégiens. D’ailleurs, certaines personnes trouvaient aberrant que ce livre soit soumis au jugement de jeunes étudiants de niveau collégial. Certes, cette oeuvre a de quoi choquer, mais la censurer aurait laissé croire que nous manquions de jugement pour interpréter les passages parfois crus de ce livre. Et surtout, cela nous aurait privés d’une discussion endiablée qui fut à la fois passionnante et constructive pour chacun de nous. Malgré le fait que la majorité des participants étaient déjà prêts à condamner cette oeuvre au bûcher bien avant le début de la discussion, l’opinion du groupe a changé de façon radicale pour être plutôt favorable à l’oeuvre à la fin du débat.

Ce Discours de réception est un roman où fiction et réalité s’entremêlent pour provoquer un effet massue. L’audace d’imaginer un scénario où Hitler a gagné la guerre, où le fascisme a triomphé et où de Gaulle a été fusillé ne manque pas de faire réagir. L’auteur expose tellement l’antisémitisme à l’extrême qu’une personne ayant rigoureusement parcouru ce livre ne peut percevoir les idéologies en cause autrement que comme totalement absurdes.

Avec un acharnement déroutant, il martèle la conscience du lecteur afin qu’il voit la bêtise humaine dans ses habits les plus pompeux. Avec ironie, Gosselin présente les effets pervers de l’endoctrinement, et l’aveuglement meurtrier qui en découle, où le juif n’a plus que la valeur d’un savon. L’hommage à l’écrivain Louis Ferdinand Céline devient un prétexte : on comprend que l’apologie est dérisoire, mais surtout que nul n’est à l’abri d’une telle aberration, pas plus le grand écrivain que l’universitaire reconnu.

Source : Le Devoir 17 et 18 avril 2004

Contes Butô

Chacun des personnages de ces nouvelles est irrémédiablement unique, irrémédiablement seul, un « monstre de solitude ». Cette solitude est parfaitement symbolisée par une image qui couronne tout le recueil, celle de ces stragglers, ces soldats japonais qu’on a retrouvés dans les îles du Pacifique et qui ne savaient toujours pas que la Seconde Guerre mondiale était terminée vingt-cinq ans après l’armistice.

Ces personnages sont donc condamnés à occuper tant bien que mal le centre du monde qu’ils ont construit autour d’eux, mais n’est-ce pas là le sort de chacun d’entre nous ?

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